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15 mai 2019

La citoyenneté numérique : concept et enjeux

Article rédigé par Martin Bérubé, avec la contribution d’Estelle Bourbeau, d’Anne-Frédérique Champoux et de Maude Dufour.

Comme le souligne Marco Fortier dans un récent article du journal Le Devoir, « l’école québécoise vient de se faire confier une nouvelle mission : former des “citoyens numériques” maîtrisant les technologies et capables d’éviter tous les pièges de la vie à l’ère de l’intelligence artificielle ». Cette annonce a été faite en marge du lancement du Cadre de référence de la compétence numérique, qui engage tous les ordres d’enseignement, de la petite enfance jusqu’à l’université. Le développement du cadre de référence s’inscrit dans la foulée du plan d’action numérique en éducation, dévoilé en 2018. Former des citoyens éclairés a toujours été le mandat conféré au système éducatif québécois depuis la parution du rapport Parent. Maintenant, le ministre Roberge lance à l’école québécoise le défi d’ajuster les pratiques éducatives aux réalités du XXIe siècle. Mais lorsque l’on fait référence au concept de citoyenneté numérique, de quoi parle-t-on exactement ?

Si la plupart des intervenants du milieu de l’éducation ont une compréhension minimale du concept de citoyenneté numérique, il n’est pas aisé de bien cerner celui-ci dans la littérature scientifique. C’est probablement pour cette raison que les auteurs présentent les concepts de citoyen et de numérique en juxtaposition (Ribble, 2014; Karsenti, 2018). Par définition, un citoyen est une personne qui vit dans un état, considérée du point de vue de ses droits et de ses devoirs civils et politiques. À cela, Ribble ajoute que « cela implique qu’un citoyen œuvre pour une société plus vaste tout en bénéficiant de ses bienfaits » en faisant référence au monde du numérique. Lorsqu’il explique la portion numérique du concept, Karsenti se rapporte au contexte et aux relations où dominent les médias basés sur les systèmes informatiques. En évoluant dans l’espace numérique, un citoyen s’expose, comme le souligne Ribble, à une « tendance aux utilisations abusives en matière de technologie dans les écoles, les foyers et la société en général […]. Malheureusement le monde numérique ne propose que peu de règles quant au comportement adéquat qu’un citoyen numérique est supposé adopter. »

Pour mieux comprendre l’identité et la citoyenneté numérique, le Comité consultatif du programme d’achat de logiciels de l’Ontario (CCPALO) aborde la question en présentant les enjeux liés à ces concepts : littératie, données, dépendance, identité, éthique, transactions et discrimination. Pour sa part, le site web Citoyenneté numérique Québec, réalisé par des enseignants, conseillers pédagogiques et bibliothécaires de la communauté anglophone de l’éducation du Québec, décline la problématique de la citoyenneté numérique en neuf thèmes : communication, sécurité, empreinte numérique, cyberintimidation, bien-être, droit d’auteur et plagiat, compétences informationnelles, publicité/marketing et achat/vente. À l’évidence, les thématiques définies par le CCPALO et Citoyenneté numérique Québec se recoupent, mais elles diffèrent aussi, car ces listes ne sont pas nécessairement exhaustives.

Très actif dans le réseau primaire et secondaire au pays, le centre canadien d’éducation aux médias et de littératie numérique Habilo médias a produit un guide pour la vie en ligne pour les étudiants postsecondaires. Ce document oriente les jeunes adultes dans la société numérique. Réparti en quatre sections, celui-ci présente les défis liés à l’utilisation d’Internet dans le cadre de recherches documentaires en enseignement supérieur, décrit des outils pour devenir un consommateur averti, donne des trucs pour gérer les relations en ligne et des moyens pour prendre soin de soi dans des situations de stress ou de harcèlement.

Des bibliothèques de l’enseignement supérieur ont également produit des outils destinés à leurs étudiants sur la citoyenneté numérique. En Ontario, les bibliothèques collégiales pilotent l’initiative The Learning Portal, qui présente une section intitulée Digital Citizenship. Du côté de l’Australie, la bibliothèque de la University of Queensland a développé une formation en ligne en six courts modules sur la citoyenneté numérique. Une fois la formation complétée, les étudiants et les membres du personnel de l’université peuvent demander un certificat d’accomplissement.

Enfin, il est à noter que le Réseau des répondantes et répondants TIC est depuis longtemps préoccupé par la question de la citoyenneté numérique en enseignement supérieur. Ainsi, les REPTIC animent le site web MonimageWeb.com pour bien informer les étudiants du réseau collégial à l’importance de préserver leur identité numérique sur le Net.

En plus des ressources mentionnées ci-dessus, nous recommandons aux lecteurs intéressés par la citoyenneté numérique deux articles du chercheur Thierry Karsenti, qui dirige la Chaire de recherche du Canada sur les technologies de l’information et de la communication en éducation.

Dans cet article, l’auteur cherche d’abord à définir le concept de « citoyenneté numérique » par une revue de la littérature sur le sujet. Il détaille ensuite les enjeux de la citoyenneté numérique en éducation. Selon Karsenti, la vie en réseau requiert d’importantes compétences numériques dont on n’avait pas besoin avant l’apparition d’Internet. Par ailleurs, agir en citoyen numérique responsable, éclairé et éthique requiert un éventail de savoirs, savoir-être et savoir-faire qu’il est nécessaire d’enseigner et d’apprendre à l’école. Cela est d’autant plus important avec l’omniprésence des réseaux sociaux : puisque ces plateformes permettent aux utilisateurs de s’exprimer librement, il devient primordial d’enseigner les bons usages et leur fonctionnement pour éviter la dérive de la polarisation des débats. Karsenti conclut l’article en affirmant qu’il ne faut pas que les enseignants se limitent à la seule vision utilitaire de la citoyenneté numérique, mais bien qu’ils cernent les transformations éducatives qu’elle provoque.

Se présentant comme un appel à l’action, ce texte de Karsenti invite les bibliothécaires et les documentalistes à investir leur rôle de formateur et à contribuer au développement des compétences des citoyens numériques. Pour l’auteur, toute formation documentaire devrait être conçue en tenant compte à la fois des avancées du numérique et de la complexité des différentes facettes du processus de recherche. Les apprenants doivent maintenant être conscients qu’il n’est plus suffisant de rechercher l’information, mais qu’il faut être capable de la gérer et de la faire venir à soi via un nombre croissant d’outils disponibles. Les professionnels doivent former les étudiants à évaluer consciencieusement et de façon déontologique l’information trouvée. Ils doivent sensibiliser les apprenants aux différentes formes que peut prendre la diffusion de l’information et leur montrer comment faire face à la surcharge d’information. Ils doivent se soucier de former des citoyens pour qu’ils apprennent à préserver leur vie privée, à gérer leur identité numérique et à assurer la sécurité de leurs données. Pour ce faire, les professionnels de la documentation devront mieux comprendre le rôle que l’intelligence artificielle joue dans la recherche et dans l’accès à l’information (des intelligences artificielles sont maintenant intégrées au fonctionnement des moteurs de recherche). Karsenti nous suggère d’imaginer le numérique comme un outil à grand potentiel, qu’il convient d’exploiter sur le plan pédagogique. Il faut réellement que le numérique puisse contribuer à la réussite scolaire de tous les apprenants et le rôle des professionnels de la documentation est primordial à cet effet.

Bibliographie

Citoyenneté numérique Québec. (s. d.). Repéré à https://citoyennetenumeriquequebec.ca/

College Libraries Ontario. (2019). The learning portal. Repéré à https://tlp-lpa.ca/home

Fortier, M. (26 avril 2019). Virage numérique à l’école québécoise. Le Devoir. Repéré à https://www.ledevoir.com/societe/education/553023/virage-numerique-a-l-ecole

Habilo Médias. (2016). Savourer ton indépendance tout en faisant preuve de prudence en ligne : un guide pour la vie en ligne pour les étudiants postsecondaires. Repéré à http://habilomedias.ca/sites/mediasmarts/files/guides/savourer_ton_independance.pdf

Karsenti, T. (2018). Agir en citoyen numérique éthique et responsable. Éducation Canada, 58 (4). Repéré à https://www.edcan.ca/articles/agir-en-citoyen-numerique-ethique-et-responsable/?lang=fr

Karsenti, T. (2018). Préparer les citoyens d’aujourd’hui à la société de l’information de demain : quels rôles pour les bibliothécaires et documentalistes ? Documentation et bibliothèques, 64 (4), 5-11. Repéré à https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3311664

Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec. (2019). Cadre de référence de la compétence numérique. Repéré à http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/ministere/Cadre-reference-competence-num.pdf

OSAPAC/CCPALO. Identité et citoyenneté numérique. Repéré à https://www.osapac.ca/citoyennete-numerique/

Réseau des répondantes et répondants TIC. (2019). Monimageweb.com. Repéré à http://monimageweb.com/

Ribble, M. (2014). Citoyenneté numérique à l’école. Repentigny : Éditions Reynald Goulet.

University of Queensland Library. (s. d.). Digital citizenship. Repéré à https://web.library.uq.edu.au/research-tools-techniques/digital-essentials/digital-citizenship